30 mars 2015

Autisme, en 2015

1 sur 68.
Bang.

Ce chiffre fait peur. Mal. Réfléchir. Mais il est réel. En moyenne, 1 enfant sur 68 a ou recevra un diagnostic d'autisme.
(source: http://fr.autismspeaks.ca/about-autism/early-warning-signs/ )

Dans ma maison, c'est 1 sur 2. Ou 1 personne sur 4.
Nous sommes 3 neurotypiques pour 1 autiste.

À la veille du mois d'avril, qui est aussi le mois de sensibilisation de l'autisme, on en entend parler partout. On voit des images pour vous inviter (SVP!) à porter du bleu le 2 avril pour soutenir la cause. On lit des articles. On en parle aux nouvelles, en mal ou en bien.
L'autisme est sur toutes les lèvres.

Mais personne ne vous parle de MA fille.
Ni du fils de mon amie Anik. Ni de la fille de mon amie Josée. Ni du petit bonhomme dont je m'occupe au CPE. Ni des 2 garçons qu'on côtoie au centre de réadaptation.

On vous parle des autistes. Pas des nôtres. Et en même temps, oui, un peu.

Ils ont des traits communs et ils sont à la fois tous uniques. N'est-ce pas là la base de l'être humain, autiste ou neurotypique.

Sur cet aspect, ils sont comme vous et moi. Différents. Semblables.

L'autisme, dans MA maison...
C'est la perspective du deuil de voir ma fille devenir mère.
C'est le deuil quotidien des petites amies qui téléphonent pour placoter.
C'est l'oubli que dans les autres familles, les samedis matins, on mange des crêpes ou on assiste à la pratique de hockey, pas aux ateliers du centre de réadaptation.
C'est connaître des statistiques et des thérapies dont personne n'a entendu parler autour de nous.
Ce sont des livres dans la bibliothèque pour tenter de comprendre un peu notre quotidien.
Ce sont plusieurs photos de regards fuyants.
C'est la répétition d'actions en boucle.
C'est l'obsession des détails.
C'est la routine rigide.
C'est la peur de désorganiser.
C'est le pamphlet des choix d'écoles secondaires qui ne servira pas.
C'est le diplôme de secondaire 5 qui ne s'affichera jamais.
C'est 3+2 qui ne fait pas encore 5.

L'autisme, dans ma maison, c'est une grande fille de 11 ans, aux yeux verts comme l'océan, aux cheveux châtains, aux traits doux, au corps élancé, au sourire souvent discret et au regard inquiet.


L'autisme, dans ma maison, ce sont des Barbies et des poupées rassurantes. C'est un vélo avec 2 petites roues. Ce sont des patins à glace qui ne s'usent pas. Ce sont des cahiers scolaires marqués de rouge. Des bouts de doigts à la peau arrachée. Des souliers mis à l'envers. Des lifts jusqu'à l'école pour éviter l'intimidation dans l'autobus. Les invitations de fête qui ne sont jamais roses. Les câlins qui ne sont jamais longs. Les crises qui sont presque toujours explosives. Les larmes qui sont hebdomadaires. Le deuil qui ne se fait pas. Le sourire dans nos visages malgré tout. Une main que je ne peux pas lâcher. Des peurs que je ne peux pas consoler. Des mots que je ne peux pas prononcer.

En ce mois de l'autisme, l'école de ma fille fera faire aux élèves une grande murale en bleu. Les fera porter du bleu. Fera probablement parler ma grande à l'intercom.
En ce mois de l'autisme, personne ne prendra ma main pour prendre un peu de la douleur. Un peu de la pesanteur. Un peu du chagrin. Un peu du deuil. Un peu de ma solitude.

Mais ce mouvement mondial, il doit faire avancer les choses. Pour qu'une famille sur 68 ne se sente plus seule, le soir, au creux de son lit. Devant une vie qui n'est pas ce qu'elle devrait être. Devant les dégâts d'une bombe qui a explosé. Devant les amis qui se sont enfuis ou ceux qu'on a dû repousser. Devant les méchancetés des autres. Devant le peu de services. Devant l'échec.

Parce que je ne suis pas seule, j'arrive à sourire, malgré tout.
De fierté devant une petite réalisation qui a pris des années.
D'amour devant un câlin qui est venu seul et sincèrement.
De bonheur devant un éclat de rire.
Je souris, parce que j'ai l'extraordinaire malchance heureuse de connaître et d'aimer du plus profond de mon coeur la plus extraordinaire des petites filles autistes. Tout comme 1 famille sur 68.

Elle est la plus belle chose qui m'ait été donnée. La plus grande fierté douloureuse.
Le plus grand bonheur. Le plus grand amour. La plus grande épreuve et la plus délicieuse saveur de la  vie.

Bon mois de l'autisme.